Dressé dans le jardin comme un phare végétal, le Cupressus macrocarpa, alias cyprès de Lambert, attire les regards. Avec sa stature ample, son feuillage d’un vert tendre et sa silhouette souvent tourmentée par le vent, il impose respect et élégance. On le choisit souvent pour structurer un espace, donner de la prestance, marquer un horizon.
Mais ce bel aristocrate n’a pas que des atouts : il a aussi une faiblesse redoutable, une talon d’Achille botanique nommé Seiridium cardinale. Derrière ce nom solennel se cache un champignon microscopique mais destructeur : le chancre cortical du cyprès. Un parasite discret, mais terriblement efficace, qui s’attaque directement aux tissus vitaux de l’arbre.
Un arbre, pas une haie
Avant d’aller plus loin, précision utile : nous parlons ici du cyprès de Lambert isolé, planté comme arbre ornemental. Pas des haies taillées deux fois l’an, ces murs végétaux malmenés à coups de taille-haie. Non : l’arbre entier, avec son houppier généreux, sa ramure sculptée par les embruns.
C’est lui que le chancre attaque, lui dont la noblesse peut être progressivement ruinée par ce mal silencieux.
Comment le champignon s’installe
Le Seiridium cardinale n’a rien d’un envahisseur brutal. Son mode opératoire est plutôt celui d’un voleur habile. Pour s’installer, il a besoin d’une brèche : une plaie de taille, une fente d’écorce, une déchirure causée par le vent ou la grêle.

Une fois à l’intérieur, il colonise le cambium, la fine couche située juste sous l’écorce, zone où se fabrique le bois et l’écorce neuve. En bloquant cette bande vitale, il coupe la circulation de la sève — brute (venue du sol) et élaborée (produite par les feuilles). Résultat : les tissus en aval ne sont plus alimentés.
Les premiers symptômes visibles ?
- Un suintement orangé ou violacé sur l’écorce, sorte de pleur chimique.
- Des taches nécrotiques sur les rameaux.
- Un brunissement rapide des branches, qui finissent par se dessécher et tomber.
- À terme, un houppier dégarni et une silhouette qui se déséquilibre.
Ce qui était un arbre majestueux devient hirsute, clairsemé, en perte de vitalité.
Le cycle du champignon
Pour mieux comprendre son efficacité, un détour par la biologie s’impose. Le champignon produit des conidies, spores asexuées disséminées par la pluie, le vent ou les outils de taille. Ces conidies pénètrent par les plaies fraîches et s’installent rapidement dans les tissus.

Son développement est favorisé par :
- Un climat doux et humide : idéal pour la germination des spores.
- Une forte hygrométrie : la pluie dissémine et entretient l’infection.
- Des hivers cléments : le champignon ne subit pas de coup d’arrêt.
C’est pourquoi les régions littorales de l’Ouest français, au climat humide et venteux, sont des zones à haut risque pour le cyprès de Lambert. À l’inverse, son cousin méditerranéen, le cyprès de Provence (Cupressus sempervirens), plus habitué aux stress hydriques et aux tissus plus denses, résiste beaucoup mieux.
Pourquoi le Lambert est-il si vulnérable ?
Le cyprès de Lambert est originaire de Californie, sur la côte pacifique. Là-bas, il pousse dans un climat océanique tempéré, avec brouillards fréquents mais sans les excès de pluie bretonne ou vendéenne. Transplanté en Europe, il conserve ses caractéristiques : tissus tendres, croissance vigoureuse, mais réactivité limitée face aux agressions.
En résumé : il aime l’eau, mais ne sait pas se défendre quand l’humidité devient excessive et continue. Ses tissus offrent un boulevard au champignon.
Ajoutons à cela des interventions humaines souvent inadaptées : étêtages à la tronçonneuse, tailles en périodes humides, plaies béantes non cicatrisées. Bref, des conditions idéales pour qu’un parasite opportuniste prospère.
Que faire face au chancre ?
Il n’existe pas de traitement chimique efficace et homologué pour lutter contre le chancre cortical. La stratégie repose donc sur la prévention et la gestion raisonnée des arbres atteints.

Quelques règles d’or :
- Limiter les tailles et privilégier les interventions en période sèche.
- Éviter les coupes sévères : moins de plaies, moins d’entrées pour le champignon.
- Éliminer les rameaux contaminés en les coupant bien en dessous de la zone malade, puis en les évacuant (ne jamais les composter sur place).
- Désinfecter les outils entre chaque arbre pour éviter la propagation.
- Diversifier les essences plantées : les monocultures (ou les haies trop serrées) sont des autoroutes pour les pathogènes.
Un peu d’optimisme, quand même
Tout n’est pas noir. Le cyprès de Lambert n’est pas condamné d’office. Avec de bonnes pratiques, certains sujets atteignent tranquillement les cent ans, même exposés aux embruns. Le chancre cortical est un adversaire coriace, mais il révèle surtout les erreurs d’entretien et les excès d’humidité.
Un arbre isolé, planté intelligemment, respecté dans sa morphologie naturelle, peut très bien s’en sortir. Même s’il perd un peu de panache, il reste un compagnon de jardin précieux : il abrite oiseaux et insectes, offre une ombre fraîche, et continue à structurer le paysage.

En conclusion
Le cyprès de Lambert est une noblesse fragile. Splendide dans ses meilleures années, vulnérable face aux blessures et à l’humidité excessive, il demande de l’attention. Le chancre cortical, par son efficacité silencieuse, nous rappelle que l’arbre n’est pas une clôture qu’on taille à la va-vite, mais un individu vivant, avec ses forces et ses faiblesses.
La clé, c’est donc la prévention, le respect de sa physiologie et une vigilance constante. Le cyprès de Lambert mérite mieux qu’un rôle de mur végétal : il mérite qu’on l’accompagne, qu’on le comprenne, et qu’on lui donne les moyens de braver les décennies.